Entretien avec Fatou Binetou Dial sur le divorce
Fatou Binetou
Dial sociologue au Laboratoire d’anthropologie Culturelle de l’IFAN-
Ch.A.Diop
« Le divorce
est un échec certes mais parfois libérateur ».
ENTRETIEN
CP : Dieba |
Auteur
de la thèse « Le parcours matrimonial des femmes à Dakar : subir le
mariage, s’approprier le divorce » Fatou Binetou Dial, sociologue
au Laboratoire d’anthropologique Culturelle de l’Institut fondamental de
l’Afrique noire (IFAN), partage une vision
mitigée sur les cas de divorces au Sénégal.
Le
divorce, dans le cadre général, est la rupture conjugale. Au Sénégal, il existe
un divorce judiciaire et un divorce traditionnel. Mais nous pouvons dire qu’il
existe une sorte de melting pot dans notre pays qui consiste à répudier sa
femme avec ou sans témoins. Cette forme de
divorce n’est pas reconnue par la loi car le code de la famille de 1972 qui
s’inspire du code Napoléon ne reconnait pas la répudiation. Le divorce pour
être considéré doit être judiciaire.
En 2013, 126.286 cas de divorces ont été notés au Sénégal. Quelles appréciations faites-vous sur ce chiffre?
En 2013, 126.286 cas de divorces ont été notés au Sénégal. Quelles appréciations faites-vous sur ce chiffre?
Dans
l’étude que j’ai réalisée sur la rupture conjugale à Dakar, un mariage sur
trois se termine par un divorce dans les cinq premières années du mariage.
Dans l’enquête démographique de la santé (EDS) réalisée en 1997, le taux des
femmes qui avaient le statut de divorcé était de 4%. Ce n’est pas si élevé mais
il faut noter que cette étude est transversale. Pour être plus claire, si une
femme, à un temps T, dans l’enquête démographique a le statut de femme
divorcée, plus tard cette même femme peut changer de statut matrimonial et dire
qu’elle s’est mariée. C’est juste pour montrer que l’itinéraire matrimonial de
la femme change avec le temps. Ainsi, il y a un réel problème d’évaluation du
taux réel de divorce car une rupture peut être suivie d’une nouvelle entrée en
union. En préparant ma thèse en 2003, j’avais lu Luc Thoré qui écrivait en
1964, dans son article « Mariage et divorce dans la banlieue de Dakar», qu’un mariage sur trois
se terminait en un divorce durant les cinq premières années du mariage. Et mon
étude en 2003 corrobore son travail. A Paris à cette même époque, c’est-à-dire
dans les années 2000, c’était le même taux : (aujourd’hui on se marie
moins, on vit ensemble, et le mariage sanctionne la réussite de la vie commune,
c’est la fin du processus alors qu’au Sénégal, on se marie d’abord et on vit
ensemble, et c’est cela qui expose davantage les couples à la rupture. Sur ce,
je ne pense pas qu’il ait une prolifération du divorce au Sénégal.
Ça a quand même pris du
temps entre l’étude de Luc Thoré et le vôtre et pourtant vous avez le même
résultat…
Cette
ressemblance des résultats ne fait que montrer l’épiphénomène du divorce. Et la
corrélation que je peux faire par rapport à ce taux c’est que la mouvance est
plus liée à la croissance démographique. Ce qui explique qu’on a l’impression
que mariage égal divorce. On est devenu plus nombreux, le poids démographique
joue sur l’évaluation du taux de rupture au Sénégal. Mais tout compte fait le
divorce a toujours existé dans nos sociétés.
Qu’est- ce qui peut
pousser deux personne qui « s’aimaient à mourir » à ne plus se
supporter et divorcer par la même occasion ?
J’aime
bien le dire, il y a des rencontres tristes et des ruptures joyeuses
fourmillantes de projets. Il y a un adage qui dit que l’amour est proche de la
haine et pour comprendre comment deux personnes qui s’aimaient à mourir, comme
vous dites, en arrivent à se séparer, il faut se reporter au choix du conjoint.
Mais il faut savoir qu’au temps, on ne se choisissait pas un conjoint c’est la
famille qui s’en occupait. Maintenant le choix est devenu actif. Il y a une
évolution dans le choix du conjoint des deux côtés. Mais pour mieux répondre à
votre question, je peux dire que le divorce est libérateur. Si tu épouses une
femme ou un homme qui cherche toujours à savoir où est ce que tu es et avec qui,
tu vas chercher celui ou celle qui te procure la quiétude. J’aime à le dire,
l’amour tout court conduit à la jalousie et la jalousie étouffe le couple.
Quand on s’aime, on doit se faire confiance l’un à l’autre. On ne peut pas
contrôler une personne. Le pacte du mariage doit faire régner la confiance
mutuelle. Le pacte finit par se rompre lorsque l’un des conjoints n’a plus
confiance à l’autre. Il faut laisser l’autre respirer. Et certains même se
créent des histoires toutes faites. Lesquelles histoires ne sont que le fruit
de leurs imaginations. A cause des « je t’ai vu par-ci ou par-là, avec
celle-ci ou celui-là » on finit par devenir désagréable.
Finalement, quelle est la finalité du mariage?
La
finalité du mariage c’est le mariage. C’est une règle sociale très forte dans
notre société, c’est la norme sociale. Cette primauté du mariage sur toute forme
d’union fait qu’homme et femme aspirent à se marier. Cependant il y a une
idéologie très forte que l’on retrouve dans les chansons populaires. En faisant
ma thèse à Paris, j’aimais bien écouter les chansons sénégalaises pour me
rappeler de mon pays. Mais je me suis rendue compte, moi qui travaillais sur le
mariage et le divorce, que le thème principal de ces chansons ne parlait que de
mon sujet. J’ai même écrit un article intitulé « L’idéologie des chansons
populaires dans le mariage d’il y a trente ans ». Et dans ces chansons
populaires, il est dit que la femme doit être sous les ordres de son mari si
elle veut réussir sa vie en couple. Et je me souviens bien, c’est Kiné Lam qui
parlait ainsi et je ne lui ai connu aucune rupture conjugale. Elle est en phase
avec ce qu’elle dit. Les autres ont chanté comment la société veut que la femme
soit en ménage. Mais à un moment donné, le discours sur le mariage s’est durci.
Une journaliste qui travaillait sur le divorce dans le milieu artistique est
venue me voir et elle s’attendait à ce que je lui dise que oui le divorce dans
ce milieu est très courant. Comme si les femmes artistes avaient des ruptures
supérieures à la norme. Ce qui n’est pas le cas parce qu’elles vivent la même
réalité sociale que toutes les autres femmes. Les femmes journalistes me disent
que ma thèse retrace leurs vécues, les femmes universitaires, fonctionnaires
aussi me disent la même chose. Le mariage est le contrat social qui nous lie à
la société et le divorce rompt ce contrat. Le divorce est un échec parce c’est
un projet avec deux familles et un projet qui avorte est un échec. Mais moi je
dis que c’est quelquefois un échec bénéfique comme j’ai eu à le dire plus haut.
Si vous devez refaire
votre thèse, qu’est-ce vous y ajouteriez ou enlèveriez ?
Lorsque
je faisais ma thèse, j’étais plus jeune. J’interrogeais des hommes qui étaient
plus âgés que mon père. J’ai été éconduite quand j’ai voulu creuser dans la vie
matrimoniale des personnes, surtout les hommes. Si je devais refaire ma thèse,
je serai accompagnée d’un homme qui se chargera d’interroger les hommes et moi
j’exploiterai davantage les expériences des femmes qui sont plus ouvertes.
Avoir le maximum d’informations sur les deux genres me permettrait de mieux
confronter les résultats. Dans la banlieue dakaroise, j’ai trouvé un vieux pour
les besoins de ma thèse. Il m’a répondu que j’avais l’âge de sa cadette et que
si je voulais discuter avec lui ce sera dans le cadre de la politique
sénégalaise et qu’il n’avait rien à me dire sur son intimité. L’enquête avortée
auprès des hommes, que j’ai d’ailleurs précisée dans ma thèse, pourrait bien
doser celle-ci si j’avais un collègue homme avec moi. En plus, la population
divorcée est très mouvante et pas facile à recenser. Ajouter à cela, les
conditions de certains entretiens n’étaient pas des meilleures (présence
quelquefois d’une tierce personne). Si je devais refaire ma thèse, j’aurais
retrouvé les deux conjoints pour avoir leurs versions de l’histoire et ainsi
saisir la quintessence de celle-ci.
Quelques conseils éviter la rupture aux jeunes qui aspirent à entrer en ménage éviter la rupture...
La
rupture, elle peut s’éviter. Tous les mariages ne mènent pas à la rupture
conjugale. Dans mon échantillon de thèse, j’avais mis une étudiante, Laïty
Ndiaye sociologue, sur les unions qui n’ont pas connu de rupture. Cette enquête
prenait en quelque sort le contre-pied dans ma thèse. Et je ne vous apprends
rien si je vous dis que les femmes divorcées ou les hommes divorcés sont plus
aptes à le refaire. Que ça soit au Sénégal ou aux Etats-Unis, les divorcé (e) s
divorcent plus que ceux qui n’ont jamais divorcé, et heureusement d’ailleurs,
sinon tout le monde divorcerait. Aux jeunes filles qui veulent se marier, je ne
suis pas donneuse de leçons, mais ce que je sais c’est que si tu te maries avec
quelqu’un pour qu’il satisfait tes besoins matériels, ou avec quelqu’un que tu
n’aimes pas juste pour le rite de passage du mariage pour remplir le contrat
qui te lie à la société, à savoir être ou avoir été mariée, tu serais passée à
côté d’une union qui ne serait pas exposée à la rupture. Pour éviter le
divorce, il faut la confiance, l’amour, la sincérité. Parce que, les hommes
comme les femmes, tout le monde joue et les attentes des hommes et des femmes
ne sont pas les mêmes dans le cadre du mariage au Sénégal.(attentes sociales et
financières). Souvent quand une fille veut se marier avec quelqu’un la famille
pose la question « que ’est-ce qu’il fait ? » Je ne suis
pas contre à cette question mais on ne découvre la personne qu’une fois qu’on
commence à vivre avec elle. L’homme calcule la femme calcule. Chacun cherche
une garantie. Dans le cadre du mariage on ne peut pas avoir une assurance avant
de se marier. « Niit dafa lendem »,
c’est-à-dire qu’il est très difficile de comprendre la personne. Pour connaître
ce qu’est le mariage il faut vivre le mariage. Si tu ne veux pas connaitre la
rupture, bon tu te gardes d’entrer en union. Et Mariama Ba dans Une
Si Longue Lettre nous a bien montré ce qu’est le mariage. Il y a un
terme que nous aimons bien utiliser au Sénégal c’est le « mun » et c’est la base de tous les
mariages qui réussissent d’après mon échantillonnage. La plupart des femmes
divorcées que j’ai rencontré me disent que si c’était à refaire, elles ne
divorceraient jamais, que c’était un esprit puéril. Du coup pour éviter le
divorce il faut s’armer de ce « mun ».
Pour finir je dirai, marie toi, tu le regretteras, ne te marie pas tu le
regretteras aussi !
Belle interview, belles réponses également. En ma qualité de célibataire endurci j'ai beaucoup appris lol
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